21 novembre 2006

La métamorphose lugubre du ginkgo

Lorsque nous sommes arrivés à Kyoto en janvier, nous avons pu constater que ce n’était pas la meilleure saison pour visiter la cité. La température se situait près du point de congélation, il bruinait, tout était gris. Les arbres étaient comme en novembre au Québec : sombres et menaçants. Lorsqu’on m’a dit que les arbres qui bordaient la rivière Kamogawa étaient de fameux sakura, reconnus pour leur beauté, je dois avouer que j’ai eu un doute.

Le spectacle de l’hiver à Kyoto n’est pas toujours réjouissant. La majorité des arbres dans la ville sont des feuillus, alors il est triste de voir la majorité d’entre eux tout nus, à part les bambous qui conservent leurs feuilles. Mais les pires à voir n’étaient pas les noirs cerisiers qui longeaient la rivière, mais les arbres qui bordaient les rues. Je ne savais pas encore leur nom, mais ils me faisaient un peu peur. C’étaient des arbres très hauts, aux branches courtes, avec un air lugubre. Les jours de pluie, on se serait cru dans un film de Tim Burton, du genre « Sleepy Hollow ».

J’ai été surprise quand j’ai appris que ces arbres tristes étaient des ginkgos bilobas. Alors, c’était ça, l’arbre légendaire? Lire l'article de Wikipédia. Celui qui existe depuis 300 millions d’années, qui a vu les dinosaures, qui peut vivre 2500 ans et qui guérit nombre de maladies?

À la vue de mon visage stupéfait et déçu, mon interlocuteur japonais s’empressa de me dire que tous les ans, on devait tailler les itchoo (comme on les appelle au Japon), car ils poussent extrêmement vite en été.

Comme j’ai arpenté la rue Marutamachi de long en large toute l’année, j’ai surveillé attentivement les ginkgos. Eh bien, il avait raison. En juin, en moins d’une semaine, de petites branches ont poussé de partout et les feuilles du ginkgo sont apparues. Je dois dire que cela transformait avantageusement mon paysage quoditien.

Il y avait tellement de feuilles qui poussaient que l’arbre est devenu quasiment touffu. Les feuilles elles-mêmes sont superbes, car elles ont la forme d’un éventail. Quel bel arbre!

En octobre, le fruit puant des arbres femelles (d’après mon pif, ça ressemble assez à l’odeur du vomi) est excellent. Il faut prendre le temps d’enlever la coquille puante, car à l’intérieur se cache une petite noix tendre sans odeur qu’on fait cuire au four micro-ondes, comme du popcorn. On trempe la noix chaude dans une pincée de sel, et voilà une autre découverte délicieuse, mais réservée aux adultes car elle peut être toxique pour les enfants. Évidemment, la ville de Kyoto ne devient pas malodorante chaque automne puisqu’on prend bien soin de planter des ginkgos mâles au bord des rues.

Je n’étais pas au bout de mes surprises. Non seulement le ginkgo résiste-t-il à la pollution (ce qui explique pourquoi il borde les rues), mais il devient en automne d’un jaune doré absolument magnifique.

Malheureusement, l’histoire triste commence justement en plein automne. Les gens de la voirie s’attellent à la tâche de couper toutes les branches des ginkgos des rues de Kyoto. C’est terrible. Un désastre. On massacre la beauté naissante. Est-ce qu’on coupe les fleurs d’un sakura avant leur éclosion? Après de longues recherches pour comprendre le sens de cette pratique, j’ai fini par obtenir une réponse. Les feuilles tombées des ginkgos encombrent les rues et les terrains des maisons. Au Japon, on est responsable des feuilles de notre arbre qui tombent dans la cour du voisin. Ainsi pour éviter ce genre de « pollution », on préfère couper les feuilles avant qu’elles ne tombent.

D’ailleurs, j’ai pu constater qu’on faisait la même chose avec d’autres arbres. Nous avons vu une femme d’entretien enlever systématiquement les pétales des roses sauvages pour éviter qu’elles ne tombent dans le sentier du temple. C’est ainsi qu’on réalise que les perceptions peuvent être très différentes à l’autre bout du monde.

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