13 novembre 2012

Les secrets d'une langue

Krusenstern QuébecLaissez-moi vous mettre au défi et vous racontez une énigme qui m’a torturé le cerveau pendant un cours de linguistique.

Petite énigme

Un père et son fils font du vélo sur l’autoroute, ce qui n’est pas très prudent. Bien évidemment, ce qui devait arriver arriva et un accident survint. Le père fut blessé, mais c’est le petit garçon qui fut le plus gravement amoché. On l’apporta d’urgence à l’hôpital où on conclut qu’il avait besoin d’une intervention d’urgence. Le médecin responsable de la chirurgie fut appelé. Comme il était au sixième, il tardait un peu, mais on le vit enfin arriver. Il se stérilisa les mains, mis des gants et entra dans la salle. En voyant le garçon, le médecin refusa d’avancer en disant: « Je ne peux pas opérer cet enfant, car c’est mon fils. »

Alors? Qui est le médecin? Les scénarios les plus farfelus se sont mis à germer chez les étudiants pendant que le professeur riait dans sa barbe. Le mariage gai est permis, alors cet enfant a deux pères. Ou alors le père imprudent est son père adoptif et le médecin son vrai père…

Jusqu’à ce que le prof coupe net nos spéculations: « C’est simple : le médecin est sa mère. »

Jamais le sexisme de ma langue ne m’a frappée autant que ce jour-là. Parce que dans ma tête, pendant que le professeur nous racontait l’histoire du petit garçon et du médecin, jamais je n’ai vu une femme: j’ai vu un homme en sarrau blanc. Moi qui me croyais si égalitaire, si soucieuse de ne pas discriminer selon le sexe, j’avais pourtant vu un homme et je n’avais absolument pas pensé à une femme à cause du mot « le médecin ». Le masculin est supposé inclure le féminin, non? Et combien de grands textes contiennent le mot « homme » pour signifier à la fois l’homme et la femme?

Le bonheur n'a point d'enseigne extérieure ; pour le connaître, il faudrait lire dans le cœur de l'homme heureux.
Jean-Jacques Rousseau

La plupart des hommes emploient la première partie de leur vie à rendre l'autre moitié misérable.
La Bruyère

Paix sur la Terre aux hommes de bonne volonté.
Évangile de Saint-Luc

La langue française est sexiste jusque dans ses mots et cette façon de représenter les choses nous atteint plus fortement qu’on le croit. Ce prof a réussi à me montrer cela en quelques minutes.

Je débute présentement l’apprentissage de l’islandais. Quelques mots, quelques phrases, je n’irai sûrement pas aussi loin qu’en japonais, mais je tiens tout de même à explorer cette langue avant de visiter le pays. Et à chaque fois que je commence une langue, je me demande ce que j’apprendrai sur sa culture et sa société. Ce que je découvrirai caché dans les replis d’une langue est parfois plus évident pour un néophyte que pour celui qui l'exerce comme langue maternelle.

Le cas du japonais

Pour l’instant, je n’ai rien pour l’islandais, mais parlons un peu du japonais. Dans cette langue, la séparation entre la langue des hommes et des femmes (joseigo) est claire et nette: les hommes ont droit à certains mots qui paraissent très vulgaires s’ils sont utilisés par des femmes. Un homme dira qu’un repas est bon en utilisant umai, tandis qu’une femme utilisera le mot plus usuel oishii. Les hommes utilisent les formes neutres des verbes (da, taberu, hanasu), alors que la femme utilisera les formes polies (desu, tabemasu, hanashimasu).

Mais un des exemples les plus intéressants se trouve dans les pronoms personnels (qu’on utilise moins souvent qu’en français, mentionnons-le):

Pour une femme:
- le je très poli est watakushi: EXCLUSIVEMENT FÉMININ
- le je usuel est watashi
- le je mignon est atashi: EXCLUSIVEMENT FÉMININ
- le tu est anata
- le tu usuel peut être kimi

Pour un homme:
- le je poli est watashi
- le je usuel est boku: plus souvent MASCULIN
- le je usuel plus masculin est ore: EXCLUSIVEMENT MASCULIN, pour une fille, celui-là est même très vulgaire
- le tu poli est anata, anta ou kimi
- le tu usuel est omae: plus souvent MASCULIN
- le tu vulgaire est temee ou encore pire kisama

Ce qui me rappelle que j’avais été sidérée en louant les dvd de Dragonball au Japon. En écoutant les épisodes en version originale avec mon chum, j’avais été très surprise de voir que Sangoku parlait à ses adversaires en utilisant « kisama », ce qui se traduirait en québécois par « mon t*b*rn*c ». Vous comprenez mes gros yeux! On avait assoupli le texte lors de la traduction française, ça c’est sûr! ;)

D’où l’importance de ne pas apprendre son japonais par les dessins animés… Certains étrangers ont donné tout un choc aux Japonais avec leur utilisation de « temee » et « kisama »! :)

Pour en revenir au français

Le français a aussi des tours dans son sac. Par exemple:

- Homme et femme : on désigne ici des personnes de sexe différent
- Mari et femme : on parle des gens mariés
Remarquons que l’homme dispose de deux mots pour désigner deux choses différentes, alors que le mot « femme » signifie à la fois une personne et une épouse. La « femme » est donc liée à quelqu’un pour être, non? Vous pensez que j’exagère… Alors continuons.

- Garçon et fille : on désigne ici des enfants de sexe différent
- Fils et fille : on parle des enfants de quelqu’un
Encore une fois, la fille n’a qu’un mot pour parler deux choses bien différentes. La « fille » est liée ici à son père ou sa mère, mais elle est liée à quelqu’un.

C’est assez étonnant. Quand je parle à mon fils et que je l’appelle « mon petit homme », jamais je n’oserais dire « ma petite femme » à une fillette. Et pourtant… c’est l’équivalent, non? Est-ce que cela veut dire que le petit garçon est déjà vu comme un homme miniature, mais que la fillette reste elle, petite plus longtemps avant qu'on puisse la qualifier de « femme »?